Le Chromatisme

Les différents types de chromatisme

Le chromatisme n’est une aberration au sens du polynôme de Zernike au sein duquel elle est prise en compte au titre de l’aberration sphérique. Néanmoins, c’est un phénomène suffisamment complexe et impactant pour le voir en détails.

Le chromatisme n’affecte que les instruments qui ont des éléments transmissifs comme les lunettes astronomiques ou les objectifs photographiques. Cela concerne aussi les systèmes catadioptriques qui mixent miroirs et lentilles ou lames de verre.

Une lentille à surface sphérique transforme un front d’onde plan en front d’onde sphérique de même rayon qu’elle en ralentissant la lumière à travers plus ou moins de verre, comme nous l’avons vu dans la section sur le principe de la réfraction.

Comme nous l’avons aussi  évoqué précédemment, une lentille n’a pas des caractéristiques uniformes en fonction de la couleur de la lumière qui va la traverser.

Ce phénomène tient au fait que la vitesse de la lumière est différente dans un même milieu en fonction de la longueur d’onde. Cela revient à dire que l’indice de réfraction d’un milieu est variable selon la couleur de la lumière. Seul le vide présente un indice uniforme : même l’air a un indice de réfraction variable en fonction des caractéristiques de pression et d’humidité, ce qui explique certains effets  de chromatisme lorsque l’on observe un objet bas sur l’horizon comme les fameux rayons verts et rayons bleus du soleil couchant.

Ainsi, lorsqu’une lumière blanche traverse une lame de verre parfaite, sa composante bleue mettra plus de temps à traverser cette lame que la composante verte qui sera elle-même plus lente que la rouge.

Dans le cas où la lumière forme un angle avec  le dioptre, le retard va se traduire par des angles de réfractions différents.

réfraction et chromatisme

Plus l’angle d’incidence des rayons est important et plus cette décomposition de la lumière va être visible. Cela revient à s’éloigner des conditions de Gauss.

Cette première manifestation du chromatisme, la plus évidente aussi, fait que tous les rayons lumineux ne convergent donc pas au même point selon leur couleur. C’est ce qu’on appelle le spectre secondaire ou le chromatisme longitudinal et cela représente les variations de la position du focus en fonction de la couleur.

Focalisation

Le spectre secondaire fait donc que la focale de la lentille dépend de la longueur d’onde des rayons incidents, ou dit autrement que la courbure du front d’onde émergeant est variable et dépend de la longueur d’onde.

 Foci

Toutes les lentilles présentent un spectre secondaire. Plus l’indice de réfraction du verre est élevé et plus la dispersion chromatique sera importante. Cette caractéristique est mesurée par le nombre d’Abbe  V ou constringence du verre. Plus cet indice est élevé et moins la dispersion est importante. A indice égal, tous les verres ne sont pas égaux en terme de constringence.

Le schéma suivant montre les indices de réfraction des verres du marché en fonction de leur nombre d’Abbe. Plus le verre est situé à gauche et moins il génère de dispersion chromatique. Plus il est haut et plus son indice est élevé.

 

Diagramme Schott

Sur ce schéma du verrier Schott, les verres fluorites seraient situé en bas à gauche et sont ceux qui présentent la meilleure constringence. Parmi eux, la fluorine de Calcium CaF2 qui a un indice de 96. Ce verre constitue souvent une des lentilles des meilleurs réfracteurs.

Une autre manifestation du chromatisme est le chromatisme latéral. La dispersion est différente en fonction de l’angle d’incidence avec lequel le rayon entre dans une lentille. Plus les rayons s’écartent de l’axe optique, plus la dispersion sera importante à cause de l’angle d’incidence plus élevé et de la traversée du verre.

 

Chromatisme latéral

Ce chromatisme latéral est donc fonction de l’épaisseur de la lentille et de sa puissance. Il faut noter que même une lame à face parallèle, donc de puissance nulle, introduit un chromatisme latéral à cause de son épaisseur.

 Chromatisme à travers une lentille épaisse

 

Le chromatisme dépend donc de la constringence du verre, de la forme de la lentille et de l’incidence des rayons lumineux.

Une troisième manifestation du chromatisme est le sphérochromatisme. Il s’avère en effet que le front d’onde issue d’une lentille sphérique n’est parfaitement sphérique que pour une seule longueur d’onde. Les fronts d’onde pour les autres longueurs d’onde sont affligés d’une aberration de sphéricité. Le sphérochromatisme désigne donc cette aberration de sphéricité liée à la longueur d’onde.

Le sphérochromatisme est représenté comme l’aberration de sphéricité d’un miroir, mais avec plusieurs courbes correspondant aux différentes couleurs.

Ici, nous pouvons voir les profils de l’aberration de sphéricité longitudinale d’une lentille pour le violet profond, le violet, le bleu, le vert, le  rouge et l’infrarouge proche en fonction de l’origine des rayons par rapport à l’axe optique. Pour rappel, un front d’onde parfaitement sphérique donnerait une ligne verticale puisque l’on représente ici uniquement les écarts par rapport à la sphère.

 Sphérochromatisme d'une lentille seule

Pour pouvoir corriger ces manifestations du chromatisme, plusieurs formules optiques ont vu le jour.

Le doublet achromatique

Le doublet achromatique a été inventé au XVIIIeme siècle par Chester Hall.

Il repose sur l’association de deux lentilles. L’une, appelé Crown, est en verre à faible dispersion et donc d’indice de réfraction faible. L’autre, le Flint, est taillée dans un verre d’indice plus élevé et donc plus dispersif. Cela peut être par exemple le couple BK7/F3 noté par un point rouge dans le graphique des verres Schott au dessus.

Ces objectifs ont comme propriété de supprimer presque complètement les chromatismes latéraux et longitudinaux pour le rouge et le bleu, et de présenter un sphérochromatisme très faible.

Les propriétés achromatiques du doublet de lentille dépendent de la constringence et de la focale des lentilles qui doivent présenter la relation suivante :

 Formule d'un achromat

où f1 et f2 sont les focales des lentilles dans le vert, et V1 et V2 leur nombre d’Abbe. Le signe moins indique que les deux lentilles sont de puissances opposées. Il faut noter que le verre Crown peut être placé en premier, ou en second.

Les valeurs des longueurs d’onde pour lesquels le chromatisme est annulé peuvent être choisies. En général les doublets achromatiques sont optimisés pour le bleu et le rouge. La formule la plus courante est celle du doublet Fraunhofer (le même que pour les raies des couleurs mentionnées avant) qui utilise un élément  Crown convergent en tête, et un élément Flint divergent en seconde position.

 Doublet de Fraunhofer à F15

Achromat Fraunhofer de 100mm à F/D 15 : aberration sphérique longitudinale et transverse en mm pour chaque couleur

Comme on peut le voir sur le diagramme de chromatisme longitudinal les deux fronts d’onde du bleu et du rouge sont effectivement alignés et à peu prés plats. Néanmoins le vert, s’il présente lui aussi un sphérochromatisme très faible, présente un décalage longitudinal de son point focal. Comme dans tous les réfracteurs, les opticiens tentent d’optimiser le résultat autour de 70% de l’ouverture qui représente la zone qui pèse le plus dans le résultat et est le best focus.

Si le doublet achromatique donne de bons résultats avec un rapport F/D important, il se dégrade en baissant le rapport F/D et en augmentant donc la puissance des lentilles. Dans ce cas, le sphérochromatisme du rouge et du bleu est moins bien corrigés et surtout le chromatisme latéral devient gênant.  Un rapport de F/D :10 devient une limite.

Doublet Fraunhofer à F/10

Achromat Fraunhofer de 100mm à F/D 10

Le doublet apochromatique

Il est possible d’optimiser le doublet achromatique pour apporter la correction d’une troisième longueur d’onde. En revanche ces doublets nécessitent l’utilisation de verre Crown à très faible dispersion chromatique, et laissent beaucoup moins de libertés quand à l’association des matériaux Flint et Crown.

 Doublet Apochromat

Doublet Apochromatique à F/D 10

Comme on le voit, le chromatisme longitudinal est très faible (décalage des courbes entre elles). En revanche, le niveau de sphérochromatisme (courbure de chacune des courbes) n’est plus totalement négligeable en regard du décalage longitudinal.

Le triplet apochromatique

Il est possible de simplifier la réalisation des lentilles avec des rayons de courbure moins prononcés et par la même de pousser plus loin la correction du sphérochromatisme en ajoutant une seconde lentille Flint, voir une seconde lentille Crown. On obtient un triplet apochromat.

Triplet Apochromat

Triplet apochromatique à F/D 8

Comme on peut le voir, malgré la baisse du rapport F/D à 8 cette fois ci, la correction du chromatisme longitudinal est encore améliorée, et surtout la courbure des fronts d’onde est diminuée (sphérochromatisme).